Enquête mondiale sur la tomate d’industrie. – Jean Baptiste Mallet – Fayard Edition.
Ce livre évoque plusieurs problématiques intéressantes, dont celle précurseur à propos des recherches sur les semences de tomates et la façon d’obtenir les coûts les plus bas de production au niveau mondial.
Nous évoquons avant de commencer, ce qui justifie la création d’une fiche de lecture détaillée de ce livre.
En complément, vous pouvez lire l’interview réalisé de l’auteur par le Figaro sur la tomate d’industrie.
Les thèmes :
- L’évolution de l’agroalimentaire portée par Heinz
- Les conditions de travail avec les cas des femmes et des migrants.
- Le concentré de tomates, la première ressource alimentaire mondialisée ?
- La Chine et son influence dans le marché des coûts mondiaux.
- L’Afrique continent à potentiel avec son autre notion de la qualité.
- Le point de vue précurseur et pionnier du marché d’un agroalimentaire mondialisé.
Chapitre 1– La Chine et Cofco Tunhe
La région du Xianjiang, région collée au Kazakstan est la région chinoise de production de tomates.
On y trouve des parcelles louées à des travailleurs qui sont payés 25€ la journée à ramasser en moyenne deux tonnes de tomates.
Ces tomates fraîches, des tomates sélectionnées, sont ensuite envoyées à l’usine de transformation de Cofco Tunhe [1].
Cofco Tunhe est la première compagnie de transformation de tomates en Chine, et le numéro deux mondial de la tomate. C’est une multinationale puissante, présente dans le Fortune 500 dont Tunhe est la partie spécialisée dans la tomate et le sucre. Elle a 15 usines en Chine et 4 en Mongolie.
Cofco Tunhe fournie les plus grosses entreprises de l’agroalimentaire : Kraft Heinz, Unilever, Nestlé, Campbell Soup, Kagome, Del Monte, Pepsi Co. Ou encore le groupe américain McCommick, numéro 1 des épices et propriétaire de Ducros et Vahiné.
Elle produit aussi 700.000 tonnes de sucre pour Coca, Heinz, Mars Food, Mitsubishi et est l’un des plus grands producteurs de purée d’abricots au monde.
Elle consomme 1.8 million de tonnes de tomates pour créer 250.000 tonnes de concentré de tomates, soit 1/3 de la production chinoise. Ce concentré est exporté dans 80 pays (pour les pizzas et sauces en Europe par exemple).
Les chinois sont nombreux. Ils doivent nourrir 20% de la population mondiale avec 9% des terres arables. La production agricole place la Chine en premier pour la production de blé, de riz, de pommes de terre, et second pour la production de tomates d’industrie et de maïs. Elle est aussi le premier exportateur de jus de pommes concentré, d’herbes aromatiques et de champignons lyophilisés ainsi que de miel.
L’usine de Chang Ji [2] produit 5.200 tonnes de concentré par jour. Cette production est conditionnées dans des barils bleus de 220 litres, remplis en quelques dizaines de secondes.
Ces barils représentent l’unité mondialisée du concentré de tomates. Un standard existant de par sa fiabilité et les qualités de conservation du produit, qu’il permet durant le transport[3].
Il existe différents types de concentré qui se distinguent de la quantité de matière sèche qu’ils comprennent. La tomate industrielle simple a environ 5 à 6% de matière sèche et le reste en eau. Le concentré double passe le taux de matière sèche à 28% avec un rapport de 6 kilos pour 1 kilos. Le triple, la plus haute qualité, a 36% de matière sèche avec un rapport de 7-8 kilos pour 1 kilo [4].
6> La Chine s’est spécialisé dans le concentré, plutôt que dans la pulpe, pour optimiser les coûts de transport.
Cofco Tunhe fourni en tant que premier transformateur tous les grands noms de l’industrie. Heinz est son premier client. Il existe un partenariat de plus de 10 ans entre eux. Heinz est aussi le plus gros acheteur de concentré au monde ainsi que le premier producteur de Ketchup.
C’est en 1936 que Heinz lança des programmes de recherche sur la tomate. L’enjeu était énorme : spécialiser des variétés pour les rendre le plus compatible possible avec le cahier des charges de l’industrie.
Depuis Heinz est devenu le numéro 1 sur la semence de tomates industrielles (semence hybride).
Ses semences sont utilisées par toutes les filiales et sur tous les continents.
Chapitre 2 – Heinz
Le Pays-Bas importe 12.000 tonnes de concentré et exporte 190.000 tonnes de sauces. Surtout du Ketchup Heinz, et pour cause, Heinz y dispose d’une des plus grandes usines du monde.
La Heinz Company produit 450 mille tonnes de concentré par an, soit 2 millions de tonnes de tomates industrielles (La filière mondiale en transforme 38 millions de tonnes par an, donc plus de 10% est transformé par Heinz).
C’est son ketchup qui a fait d’Heinz une multinationale et un vrai produit du « way of life » US.
en 2013 Heinz est racheté pour 28 milliards de dollars par 3Gcapital et Berkshire Hattaway
En 2015 Kraft et Heinz fusionnent. Sous leur égide se retrouve 13 marques et 28 milliards de chiffre d’affaires[5].
Kraft-Heinz et ses concurrents, les 15 plus grosses entreprises de l’agroalimentaire possède 30% du marché ou vente en supermarché de la planète.
La tomate industrielle n’a plus grand-chose en commun avec la tomate ronde que nous connaissons. C’est un fruit créé artificiellement au travers de sélections, génération après génération.
La tomate industrielle est une tomate oblongue, plus lourde (plus de matière sèche). Elle possède une peau très épaisse et dur. Si dur qu’elle supporte les longs trajets en camion et les multiples manipulations opérées par les machines. On la surnomme pour cela la tomate de combat. Elle est même capable de supporter les centaines de kilos lorsqu’elle est au fond d’une benne bien remplie.
Toute la machinerie de transformation et de transport fonctionne donc uniquement avec ce type de tomates.
Dans les usines de transformation, la cuisson des tomates doit s’opérer sous les 100°C pour éviter un risque de sur-cuisson (le rouge brunie et le sucre caramélise). La transformation doit garder la qualité du produit, du moins quand c’est le but.
-> L’industrie produit différentes qualités.
Le concentré de tomate est devenu un produit sans frontière et universel pou un fruit dont le bassin originel est l’Amérique du sud.
Chapitre 3 – Heinz inventeur du management
La Heinz Company se démarque des autres entreprises au début du 20ème siècle par l’absence de mouvements sociaux et de grèves.
En tant que tel, elle est utilisé pour célébrer le modèle « Salvateur » américain.
Elle intrigue, passionne car elle représente un modèle singulier et prometteur capable d’extraire d’énorme plus-value sans conflit entre profit et travail.
La Heinz Company est fondée en 1876 par Henri John Heinz.
Un entrepreneur profondément traumatisé par les grèves ferroviaires dont un des épisodes les plus sanglants fut la « Commune de Pittsburgh ». Cette grève, débutée par une baisse de salaires et d’effectifs a fédéré une population alors frappée par l’extrême pauvreté. Le conflit mobilise 100.000 travailleurs, des grèves éclatent, non contrôlées par des syndicats, des grévistes prennent le contrôle de Chicago, Pittsburgh et Saint Louis.
-> Durant une semaine, la communication Est/Ouest est coupée. Le pays est paralysé, les entrepreneurs terrifiés.
Révoltés, réprimés par les troupes fédérales, la grève se termine au travers d’une répression à l’américaine tenant plus du bain de sang, occasioinnant un nombre de morts conséquent.
Ce qui inquiéta le plus Henri Heinz, c’est que durant les jours de grève, les classes populaires se sont rangées du côté des grévistes promouvant par la, la lutte des classes.
Quentin R. Skabrec : « en un temps ou bien des patrons pensaient qu’il suffisaient d’exploiter les ouvriers et de réprimer leurs grèves, lui était plus rusé. Il venait d’un milieu populaire et a cherché à inventer un modèle entreprise qui permette de s’affranchir des conflits entre le capital et le travail. C’est ainsi qu’il a révolutionné ce que l’on appelle désormais le Management »
-> H. Heinz décide de mettre en œuvre de son usine ce que l’on appellera par la suite, le Paternalisme.
Cette méthode fut mise en place bien avant qu’Henry Ford n’assemble ses premières automobiles sur ses lignes de montage.
Et 1905, la société Heinz vendait 1 million de bouteilles de Ketchup et 12 millions, deux ans plus tard.
Heinz fut largement précurseur sur la rationalisation des moyens de production ainsi que dans la parallélisation des taches. Elle fut par exemple la première à investir massivement dans des machines permettant de faire ses propres bouteilles [6].
Les ateliers aussi renoncèrent assez tôt à utiliser le charbon pour préférer le gaz et ils furent les premiers à se relier aux premiers réseaux électriques du pays.
En 1898, l’ingénieur Frederick W. Taylor fit appliquer ses principes d’organisation « scientifique » du travail chez un géant de l’acier.
Son « organisation scientifique » se basait sur une analyse rigoureuse de toutes les taches inhérentes à la production : division et optimisation de chaque poste.
-> Elle s’imposa rapidement dans les ateliers de conserverie Heinz.
-> Cette rationalisation est à l’origine de la production de masse et de la popularité de ce que l’on nomme le Taylorisme.
En 1907 Heinz concentre 1/5eme des investissements de l’industrie de l’agroalimentaire.
En 1910 elle produit 40 millions de boites et 20 millions de bouteilles par an.
Le Paternalisme version Heinz consiste dans une politique de « haut salaire » pour les ouvriers acceptants les règles du comportement sur les normes promues par l’entreprise. Il faut appliquer les gestes de travail prescrits mais aussi s’inscrire dans la vie organisée de l’entreprise.
-> A savoir au gymnase et à la bibliothèque.
-> Dès 1890 chez Heinz, un département de sociologie existe pour étudier la main d’œuvre et lancer des actions psychologiques.
Heinz dispose aussi d’une troupe de choc la « pickle Army », une section spéciale composée d’ouvriers d’élite chargés de faire respecter :
- l’ordre,
- la tempérance
- et la morale de l’entreprise, mais aussi,
- d’assurer la facilitation de l’endoctrinement des employés [7].
Heinz avait une main d’œuvre à 56% féminine d’un âge compris entre 14 et 25 ans, non pour une question de parité ou d’égalité des chances mais parce que à travail égal, on les rémunérait 50% de moins que leurs collègues masculins.
La Heinz Company fait figure de pionnier dans l’agroalimentaire, d’un modèle qui s’est imposé aux USA mais aussi dans le monde[8].
Chapitre 5 – l’entreprise Petti
L’entreprise Napolitaine Petti fondée en 1925 devient leader de la tomate pelée en 1978, et, au tournant des années 80, devient le plus grand producteur de boites de concentré au monde. Elle fournit 70% de la demande africaine début 2000. En 2005 elle investit dans une usine reconditionnant du concentré chinois au Nigeria. C’est un acteur incontournable de la filière Mondiale. C’est le plus gros acheteur de concentré derrière Heinz.
Le groupe a la plus grosse usine de reconditionnement de concentré d’Europe. Et comme celle-ci se situe en Italie (et bien qu’elle utilise très majoritairement du concentré d’origine chinoise), elle peut indiquer sur ces boites « Produit en Italie ».
Une autre usine qui se situe au nord de l’Italie, en Toscane, transforme des tomates 100% italiennes dont la moitié sont bio.
Bien que portant le même nom (même famille). Il s’agit d’une production confidentielle de tomates italiennes.
Son PDG, Pasquale Petti, quand excédé par les demandes incessantes de la grande distribution, s’exprime ainsi :
« C’est qu’ils veulent ? C’est un produit le moins cher possible, qui ressemble à de la sauce tomate et qui ne tue pas les gens après qu’ils l’ont mangé.. »
Chapitre 6 – L’Italie et la tomate
En 2015, sur 1.6 million de tonnes de tomates en conserve échangées au niveau mondial, l’Italie réalisait 77% des exports.
Une part importante du concentré chinois qui arrive dans le sud de l’Italie est conditionné pour l’Europe. Mais, une part importante est directement réexportée. Cette partie est sous le régime douanier du « perfectionnement actif » ou « à titre temporaire » ou « en transit temporaire » qui n’est pas taxé. Ce perfectionnement correspond en général à un reconditionnement du triple concentré chinois en double (on le coupe à l’eau, on rajoute une pointe de sel et on le renomme double concentré).
Ce régime améliore la compétitivité de l’industriel mais nuit aux producteurs de l’union européenne [9] l(orsque le concentré rentre dans le marché Européens, il est taxé à 14.4%).
En Italie, la Coldiretti[10] a obtenu qu’il ne soit plus possible de commercialiser une « passata di pomodoro » (appellation contrôlée) qui ne soit pas produite avec des tomates cultivées en Italie.
Ce qui n’est pas le cas dans le reste de l’Europe où l’on peut badger aux couleurs de l’Italie le concentré chinois.
Pour autant, les ports de commerce sont en concurrence les uns avec les autres. Et moins de contrôle veut dire plus de clients. Quand on sait qu’il n’y a rien qui ressemble plus à du concentré de tomates qu’un autre concentré de tomates, on peut envisager le risque de fraude qui peut exister.
« Nous n’effectuons que des contrôles de type sanitaire sur le concentré chinois »
« Le concentré de tomates n’est pas une marchandise que nous considérons à risque. Il n’est donc pas beaucoup contrôlé »
Emiliano Granato, Port de Salerne, Campanie, Italie.
Lorsque les normes sanitaires ne sont pas respectées, le produit est juste renvoyé à l’expéditeur qui pourra alors choisir de le réexpédier vers un pays moins regardant, comme il y en a en Afrique.
Les vieux stocks (ceux fait pour compenser la variation du prix sur le marché mondial) sont en général envoyés vers l’Afrique. Le concentré n’est pas côté en Bourse, le prix est géré de gré à gré.
-> Le marché du vieux ou de l’avarié avec ses prix bas, s’est structuré et dessert le marché africain.
Des saisies spectaculaires interviennent parfois (Le 25 novembre 2013, plus d’un million de boites impropres à la consommation étaient en attente de destruction à Nabeul en Tunisie).
Il faut bien comprendre que sur le marché mondial, un lot de concentré non conforme aux normes sanitaires en vigueur dans un pays peut toujours être bradé ailleurs. On le fait juste voyager vers un pays plus accueillant, là où la réglementation est plus souple et peut facilement être contournée, entre autre grâce à la corruption (plus d’infos sur notre article sur un trader de l’agroalimentaire) .
En Afrique, c’est le prix et non la qualité qui prime, c’est pour cela que l’on peut y trouver le concentré que l’on nomme la « Black Ink ».
Un nom qui vend du rêve et pour cause. C’est la qualité la plus basse au niveau mondial qui existe. Le nom n’est pas donné par hasard, il s’agit d’un concentré si vieux et dégradé qu’il en a perdu toute couleur.
Néanmoins dans les mains d’un chimiste, il y a toujours du profit à en extraire. En le mélangeant à la juste proportion d’amidon de maïs et de soja tout en y rajoutant, juste ce qu’il faut de colorant rouge, on retrouve un produit vendable.
Cette Agromafia qui joue des appellations, triche sur les origines et la qualité, qui est malhonnête sur les conditions de travail, fourni les concentrés premier prix dans toute l’Europe. Autant dire qu’elle fait le bonheur de la grande distribution et de son amour des prix bas.
L’agromafia
Chiffre d’affaire de l’agromafia en 2011 : 12.5 milliards d’€ soit 5.6% du produit annuel de la criminalité [11].
Tous les produits typiquement italiens sont concernés. Et cette fraude est d’abord rendue possible par :
- la mondialisation
- la fluidité des transports de marchandises
- le prestige du « Made in Italy ».
-> Il y a une influence croissante de la criminalité dans l’agroalimentaire, typiquement dans l’huile d’olive et les boites de tomates.
Une entreprise agromafieuse n’est pas seulement une entreprise « de l’ombre », elle est forcement connectée à l’économie locale et légale.
L’entreprise fonctionnera normalement, aura des partenariats avec des entreprises locales comme des pizzerias, qui, quel que soit le prix des produits vendus, se fourniront chez eux (blanchiment d’argent).
L’entreprise mafieuse va donc jouer sur les prix pour blanchir de l’argent mais aussi sur les labels et les origines déclarées pour proposer des prix bas.
Il y a différents types de fraude à noter :
- L’utilisation de déchets de tomates (peau, graines) normalement destinés au bétail dans la composition du concentré double (en général à destination de l’Afrique)
- Le stockage clandestin de milliers de boites de concentré sans étiquette et sans date de péremption (affaire Giaguaro pour un million de boites saisies de 200 grammes)
- Le laboratoire d’analyse accrédité qui distribue de fausses certifications pour faire passer du concentré Chinois pour du concentré italien authentique, ou, pour obtenir une certification d’un concentré sans métaux lourd par exemple.
-> Utile lorsque les tomates viennent de champs contaminés ou que le concentré d’origine chinoise est basé sur des tomates impropres à la consommation.
L’entreprise Guiguaro a racheté Vitale, une entreprise italienne qui revendique sa présence dans plus de 60 pays.
Elle fournit des géants de la grande distribution comme Carrefour, Auchan, Leclerc, Metro, Casino, Monoprix, Système U, Intermarché.
Chapitre 7 – le Fascisme et la mécanisation
C’est grâce à une volonté d’autonomie alimentaire associée à une volonté de rationalisation et de développement du secteur de production alimentaire que l’Italie, au sortie de la guerre, profitera d’un avantage stratégique dans le domaine des machines-outils.
-> C’est en partie, l’industrie de la tomate, financé et encouragé par le régime fasciste, qui a fait des machines, le point central du système alimentaire qui s’est imposé aujourd’hui.
Chapitre 9 – la production de concentré
Le business de la tomate, en Italie, a des allures de cartel. Avec 3 pôles principaux :
- la conserverie,
- la négoce et
- l’industrie mécanique.
Ces trois secteurs s’auto entretiennent, on parle d’un secteur oligopolistique.
Les frères Gandolfi dans les années 30 fondent une boite de négoce alimentaire.
L’entreprise qui va s’ouvrir à l’international va brasser des quantités phénoménales de concentré de tomates.
Elle compte parmi ses clients nombreux, Heinz. Silvestro Pieracci. Leur bras droit va aider à construire la filière et à trouver des débouchés. Et à peu de choses prêt, il visitera tous les pays où existe une usine de transformation de tomates pour acheter et vendre.
Leurs plus gros acheteurs sont les napolitains dans les années 80. Ils ont deux gros clients, les Russo et les Petti.
La transformation technologique de la production de tomates a été faite par les italiens. Ils « donnaient » des usines clef en main (Marque Rossi & Catelli) au chinois Chalkis (CEO, général Liu).
Le « don » d’usine suivait le principe d’un mécanisme appelé « compensation trade ».
-> L’usine est offerte à la condition de vente à titre gratuit du concentré produit jusqu’à remboursement du prix de l’usine.
-> Avec l’Italie, cette transaction sera aussi une aubaine de blanchiment lors de transferts de devises à travers la Suisse.
Pour la Chine la tomate fut, dans un premier temps, l’opportunité de développer une région et de donner du travail aux paysans (90% de la production de tomates est exportée).
La filière chinoise s’est formée entre 90 et 93, une période où elle transformait 400 mille tonnes par an. la province du Xin Jiang fut choisi pour son climat propice.
Entre 99 & 2003 la chine produit jusqu’à 5 millions de tonnes de tomates pour la transformation qu’elle transforme en 600 mille tonnes de concentré.
Entre 2009 et 2011, la Chine produit 10 millions de tonnes de tomates par an pour l’industrie et donc l’export. Depuis la Chine a réduit sa production.
-> En 2014 Cofco Tunhe, le numéro 1 Chinois et chalkis, numéro 2, se sont entendus pour stopper la guerre des prix.
La Chine exporte beaucoup en Italie (qui transforme au rabais pour réexporter en Afrique), au Royaume Uni, en Russie, Pologne, Allemagne et Pays Bas (Où on produit des sauces Ketchup).
« Une main d’œuvre quasi gratuite, l’arrivée sur le marché mondial d’une concentré chinois ultra compétitif. Des napolitains avides de pâte premier prix. Des décideurs chinois pressés d’industrialiser le XinJiang, de « valoriser » le territoire et de se remplir les poches. Une demande mondiale pour la tomate d’industrie en augmentation de 3% par an. Des constructeurs d’usines bien décidés à vendre beaucoup d’équipements. Tout était là pour que la filière chinoise connaisse une ascension et que la Chine se sur-équipe et sur-produise »[12]
Chapitre 10 – Heinz et la Chine
Kissinger, conseiller à la sécurité nationale sous Nixon de 69 à 75 est un homme qui même après la fin de son mandat, garde, un réseau d’influence avec ses entrées dans les présidences et ministères. Cela, à travers un business de conseil « Kissinger Associates ». Il profite de ses relations avec la Chine qu’il a tissé alors qu’il participait à l’organisation de la visite de Nixon à Beijing.
Heinz, sous l’impulsion de son PDG Tom o’Reilly, va avec l’aide de Kissinger créer un partenariat en Chine pour vendre ses produits, jusqu’à maintenant uniquement présent aux États-Unis, en Europe et Australie.
Cette Joint-Venture concerne des produits pour bébé, l’usine s’ouvre en grande pompe en 1986 et 2 ans plus tard, triple déjà de taille.
C’est la première multinationale étrangère à faire de la publicité à la télé avec un logo d’une marque capitaliste.
Au milieu des années 70 simultanément à son développement à l’international, Heinz décide de réduire drastiquement ses sites de production. Elle divise par deux ses sites entre 75 et 80 (milliers de licenciement). La direction opte pour une production à moindre coût sur des sites toujours plus grand, des « méga-usines » ( à l’opposer des débuts paternalistes).
De 82 à 92, le C.A. est presque doublé.
En 92 Heinz ferme sa production de matière première et crée à la place, une centrale d’achat, pour acheter les matières premières au prix le plus bas au cours mondial.
Chapitre 11– Optimisation, standardisation et mécanisation
Morning Star, entreprise Californienne est la première productrice de tomate au monde et première transformatrice en concentré avec 3 usines qui transforment jusqu’à 2500 tonnes de tomates à l’heure.
L’entreprise couvre 40% des besoins U.S. avec un chiffre d’affaire de 700 millions de dollars pour 3 usines et 400 employés. Le président Chris Rufer est insatiable d’optimisation, de coût et de gain de productivité.
-> Il représente l’idéal à atteindre pour tous les producteurs de concentré (Europe en Chine).
Heinz, après des décennies de recherches a permis à la tomate de devenir une matière première dans une unité standard, le baril bleu. Ce baril a permis un conditionnement aseptique permettant son négoce au niveau mondial.
C’est un conditionnement venant des techniques du milieu pharmaceutique et suggéré par un employé dans les années 50.
Avant, le concentré était stocké dans des cuves de conservation qui permettait de faire du ketchup toute l’année, maintenant ce sont des poches aseptiques dans des barils bleus.
-> Le baril bleu est l’unité d’échange mondial du concentré.
La tomate, c’est aussi l’exploitation d’une main d’œuvre quasi esclave, avec des entrepreneurs qui veulent des coûts toujours plus bas.
Le Wagner Act de 1935 a autorisé la formation de syndicats dans le milieu privé mais pas dans le milieu agricole.
En 1950, la possibilité de se syndiquer n’existe toujours pas et les grèves sont brisés par les braceros, des immigrants légaux mexicains prêt à travailler pour quasiment rien [13].
-> Pour contrer cela, César Chavez créé en 1962 le UFW (united Farm Workers) et permettre de lutter de façon pacifiste (désobéissance civile). L’annulation du programme Braceros sera un de ses succès.
->Heinz est mécontent des succès de l’UFW et décide de chercher une parade : La mécanisation du ramassage de tomates.
L’université de Davis aux USA est le lieu incontournable de la recherche en agronomie. Son centre de recherche génétique a joué un grand rôle dans l’industrie rouge. Et c’est à eux que Heinz confit son projet de mécanisation.
-> Les premiers tests de ramassage sont une catastrophe. La tomate se détache mal et est trop fragile. L’orientation de recherche sera donc de trouver une tomate adaptée aux machines.
Le gène J-2 des tomates des îles Galápagos et le gène UF-145 vont révolutionner le ramassage.
Si les premières recherches s’effectuent durant la seconde guerre mondiale pour compenser la diminution de la disponibilité de la main d’œuvre, c’est en 1960 (1 septembre) qu’est fait la démonstration de la première machine la « blackwelder ».
En 1961 0.5% du ramassage est effectué de façon mécanique, 20% en 1965, 70% en 66 et 100% en 70[14].
-> Le problème des dizaines de milliers de travailleurs contestataires et de leurs revendications est résolu.
Chapitre 12 – Les grandes négoces mondiales
L’usine italienne de Nocera.
Elle n’utilise que du concentré d’importation (Chinois ou Californien) qu’elle transforme (de triple à double). Elle inonde ensuite l’Europe et les différentes enseignes de supermarchés.
Ces mélange de différentes qualités donne des couleurs + ou – foncées qui donne différents prix.
Mélanger est une technique qui permet de vendre des stocks de très basse qualité.
L’usine Petti n’inonde pas que l’Europe mais aussi l’Afrique. Elle représente 60% du concentré en Italie et 4% des exports au niveau mondial[15].
« Le double concentré de tomates Gino est fait à partir d’un mélange unique des meilleurs ingrédients provenant de différentes régions du monde, il est produit dans une des plus grandes installations de transformation au monde, en utilisant la meilleure technologie, tout en conservant la qualité traditionnelle du concentré »
Ce concentré provient du XinJiang et de la Mongolie intérieure chinoise. La marque appartient à un indien Watanmal (siège à HongKong et tharamani dans le Chennai).
En 10 ans, la marque est devenu le numéro 1 du concentré. 650 millions de chiffres d’affaires en parti grâce à Gino. Un budget publicitaire important pour y arriver (numéro 1 en Afrique). Wantanmal partage le marché africain avec des firmes spéculant sur le cours des denrées agricoles.
Au départ, Watanmal achetait son concentré aux napolitains. Mais le général Liu (Chalkis) trouvant que le passage de son concentré par le port italien est une perte de temps (et d’argent) décide de proposer directement son concentré à Watnamal.
-> Cela fera regretter à l’entreprise Petti de ne pas avoir sécurisé sa production en construisant une usine de conditionnement (conserverie) à Tianjin.
De 1950 à 2000, le marché africain appartenait aux italiens, maintenant 7% du marché appartienne aux chinois
Chapitre 13 – visite d’une usine
Dans ce chapitre l’auteur visite l’usine de Tianjin Jintudi Foodstuff.
Après quelques tentatives, il parvient à se rendre dans une salle, normalement, non comprise dans la visite où il constate une pratique étonnante.
Il découvre un concentré triple qui va être mélangé avec :
- de la fibre de soja
- de l’amidon
- du dextrose.
Le dextrose a une saveur sucrée et augmente la miscibilité des ingrédients que l’on rajoute. Le colorant couleur carotte est la petite touche finale.
La raison de ce rajout d’additifs au concentré est dû au marché visé. C’est le marché africain. Pour ce marché, le prix est un facteur décisif. Le concentré acheté/choisi va donc être une version peu chère et dégradée [16] que des chimistes de l’agroalimentaire retravaillent aux additifs pour être vendable.
Deux types d’emballage seront utilisés. La boite de 70 grammes et celle de 400 grammes qui servira à la vente à la cuillère pour les pas si riche que ça.
Chapitre 14 – Le SIAL
Ce chapitre est dédié au salon pro international de l’alimentation ou SIAL qui se déroule à Villepinte en France. Il y a 150.000 visiteurs dont 70% sont des étrangers venant de 194 pays.
Avec ces 7000 exposants, c’est le plus grand salon au monde pour l’industrie alimentaire, 40% des produits exposés sont semi-transformés (cubes de viande, farines, arômes, colorants et concentré de tomates).
Les produits alimentaires intermédiaires représentent 25% du chiffre d’affaire mondial [17].
Le SIAL est une porte d’entrée vers le marché Africain.
L’offre de concentré de tomates à destination de l’Afrique proposée par les chinois est variée. Il existe quatre niveaux de qualité.
En moyenne un concentré « double » pour l’Afrique est un mélange de :
- 45% de concentré
- 55% restant composé :
– d’amidon,
– soja,
– colorant couleur carotte
– sucre.
Le prix du concentré sera donc fonction de la quantité d’additifs.
-> En général, ceux qui viennent acheter des petites conserves de concentré en marque blanche veulent les prix les plus bas (Il peut exister des problèmes de toxicités avec les additifs).
-> Le concentré pour l’Afrique est en général très sombre [18].
Chapitre 15 – Le Ghana
la production de tomates au Ghana, c’est 500.000 tonnes par an dont 30% perdue à cause de la surproduction.
en 2014 c’est 366.772 tonnes qui sont produites.
Le Ghana a 28 millions d’habitants et la dépense en tomate représente 38% des dépenses de légumes.
Le 6 mars 1957, jour de l’indépendance du Ghana, son premier président Kwame Nkromah décide d’investir dans :
- l’éducation,
- la santé,
- les infrastructures
avec une volonté claire de réduire le plus possible la dépendance aux importations.
Début 1960, le Ghana se dote de deux usines de transformation pour la tomate.
-> Le commerce de la tomate ghanéen fleurit.
En 1966 un coup d’état orchestré par la CIA est exécuté.
S’en suit une période d’instabilité. En 1979 un deuxième coup d’état, militaire, conduit par Jerry Rawling prend place.
Les règles sont claires, le pays devient un exemple de néolibéralisme :
- Plus d’investissement dans le pays,
- Ouverture aux capitaux étrangers,
- Economie quasi exclusivement orienté sur l’exportation de matières premières (Bauxite, Manganèse, Diamants, Pétrole).
Pendant les deux coups d’état, les usines de transformation de tomates ont ouvert et fermé. Ce sont maintenant deux tas de rouille.
L’orientation néolibéralisme place le travailleur ghanéen dans des conditions de précarité.
L’origine chinoise du concentré moins cher, qui inonde le marché national, n’est pas connu du peuple ghanéen.
Chapitre 16 – Le Sénégal
Avec l’indépendance obtenue dans les années 60, le Sénégal a la volonté de devenir autosuffisant en production alimentaire.
La création d’un village modèle, Savoigne, est créée.
C’est une initiative Privée/publique où l’entreprise Sentenac, aidé par l’armée, où l’on va former de jeunes célibataires. Ces « pionniers de l’indépendance » vont subir une formation, militaire, civique et agricole. Le but étant ensuite de les doter d’un lopin de terre pour qu’ils produisent de la tomate pour la marque sénégalaise.
Des années 60 à 86, le gouvernement entreprend de permettre à la production agricole d’être dans les meilleurs conditions pour se substituer aux importations.
La société de conserverie SOCAS du groupe Sentenac jouit pour tenir ces objectifs, de conditions privilégiées pour développer la filière sénégalaise[19].
A partir de 1986, le FMI et la banque mondiale conseille une ouverture aux capitaux étrangers et à la concurrence internationale.
-> C’est une « libéralisation » de l’économie avec privatisation et destruction des monopoles publics.
Les résultats ne font pas attendre.
-> Le concentré chinois, deux fois moins cher après taxe s’installe et met la marque sénégalaise sous haute pression.
-> 10 ans plus tard, l’usine de transformation met la clef sous la porte.
Chapitre 17 – La main d’œuvre des Pouilles en Italie
Les caporolatos des pouilles, Italie.
Il s’agit de « caporaux » qui encadrent, gèrent, le travail de la main d’œuvre illégale pour les vastes réseaux criminels de l’agromafia.
Ces caporolato fonctionnent avec l’agriculture du sud mais aussi du nord de l’Italie.
-> Des lois ont été votés pour stopper leurs activités mais elles ne sont peu ou pas appliquées.
La main d’oeuvre qu’ils utilisent vient d’Afrique.
Les africains qui arrivent en Italie, de façon illégale, commencent leur vie italienne dans les ghettos, les bidonvilles dans lesquels, les capos viennent et proposent du travail.
Les ghettos sont gardés en marge de la société dans une sorte de No man’s land à la merci de « tyrans ». Une contre-société construit sur la misère et l’exploitation. Néanmoins les africains préfèrent y aller plutôt que d’être dans des logements prévus par l’état :
- D’abord pour être entre ressortissants,
- mais aussi pour avoir accès à ce travail que propose les capos.
-> l’exploitation des travailleurs migrants est 1 pilier de l’agriculture italienne[20].
Dans la province de Fogia le travail est d’abord le fait de travailleurs européens (Bulgares & Roumains) avec tout de même des africains. Ils sont en général déclarés quelques heures pour toute une saison de travail.
-> Les syndicalistes de la FLAI-CGIL des pouilles dénoncent la corruption et le quasi pignon sur rue des caporolatos.
Dans le nord 85% du ramassage est mécanique mais il est seulement de 15% dans le sud à cause des petites tailles des parcelles.
-> La mécanisation de pointe est aussi rentable que la main d’œuvre non déclarée.
-> Et moins intéressante si l’on prend en compte, les jours non payés et la violence[21].
Le ramassage à la main a pour lui d’être de bien meilleur qualité. Les fruits sont ramassés avec délicatesse, lorsqu’ils sont mûres.
Le « gran ghetto de Rigano » est le plus grand bidonville/favela/ghetto des pouilles avec 5000 africains.
Chapitre 18 – Les Caporolato
Le caporal est un propriétaire de camionnette. Ils approvisionnent en main d’œuvre les producteurs. Ils décident qui montent dans sa camionnette.
Le caporal est souvent lui-même un ancien émigré qui a élevé sa condition sociale.
Il existe donc une co-responsabilité entre producteurs et caporolato. Ces derniers se font de temps en temps arrêter, mais cela n’affecte pas la grande distribution, premier client, qui est la première demandeuse de ces produits à tarif bas.
-> Tant qu’il y en a qui paye, il y aura toujours de la main d’œuvre esclave.
Néanmoins, les caporolatos ne sont plus dans une situation de complète immunité. Ils doivent s’adapter aux nouvelles législations en créant des « boites d’intérim ».
-> ils trafiquent (pour ne pas payer de taxe + faire du noir) et revendre les journées de travail pour obtenir une cotisation retraite ou allocation chômage.
Chapitre 19 – Final
Dernier chapitre. Évocation des chinois au Ghana, de la concurrence. De la Black Ink, le concentré le moins cher du monde et des chimistes qui le travaille pour qu’il soit de nouveau vendable.
Conclusion
Ce livre, au travers l’exploration du concentré de tomates étudie la mondialisation, la persécution économique sur les pays africains et les origines de l’agroalimentaire moderne.
C’est une enquête approfondie et documentée, qui permet de mieux se rendre compte du positionnement de la Chine et d’un fonctionnement que l’on retrouve dans d’autres secteurs de son industrie.
C’est très instructif et très formateur.
[1] China National cereals, oils and foodstuffs Corporation
[2] Technologie italienne
[3] Ce baril bleu a permis la mondialisation du concentré de tomate.
[4] Rapport dans une usine moderne. Le rendement baisse dans une usine moins évoluée.
[5] L’agroalimentaire c’est 4000 milliards de CA par an (département de l’agroalimentaire US).
[6] Machine outil d’Owens
[7] La firme a très tôt la réputation, dans le milieu des affaires, de ne pas connaitre la grève, même en période d’agitation sociale.
[8] Progrès de le productivité dû à la mécanisation, de la motorisation, de la standardisation et de la rationalisation. Intensification du travail sous la pression de nouvelles méthodes et de management et de politique d’intégration des travailleurs paternalistes à la société capitaliste)
[9] Avantages comparatifs, libre-échange
[10] Confédération national des producteurs autonomes
[11] Un chiffre passé à 15.4 milliards en 2014 avec en comparaison un chiffre d’affaire pour le groupe Danone de 21.4 milliards.
[12] P142. Livre “l’empire de l’or Rouge”
[13] Dumping Social
[14] Chiffres californiens
[15] Heinz est le premier acheteur, Petti est deuxième avec des débouchés dans 170 pays.
[16] De couleur brunie dû à une sur cuisson. Il a perdu en qualité nutritive et gustative
[17] Mille milliards de dollars.
[18] En Juillet 2012, un article signalait que des exportateurs Européens se plaignait de la concurrence déloyale chinoise avec leur concentré coupé aux additifs.
[19] Investissement de 12 milliards de Francs CFA
[20] Chiffre 2012 : sur 816000 travailleurs agricoles, 153000 ressortissants hors UE et 148000 Venant de l’UE. Néanmoins peu de migrants réellement déclarés, sur 2000 migrants déclarés, il y en a 30000 qui bossent. Les ghettos ne sont ni légaux, ni illégaux, ils sont seulement non référencés.
[21] Etude financée ar Nando Peretti Foundation